Comment assurer la prise en charge des millions d’enfants qui souffrent de malnutrition aiguë sévère, quand presque tous vivent dans des régions caractérisées par un manque criant de moyens (infrastructures sanitaires, ressources humaines, financements) ?
C’est pour répondre à ce défi que Nutriset et l’IRD ont inventé en 1996 Plumpy’Nut®, premier aliment prêt à l’emploi pour le traitement de la malnutrition aiguë sévère, ou Ready-to-Use Therapeutic Food (RUTF).
A partir d’un produit adapté à leurs besoins, les acteurs de terrains ont alors pu développer un modèle de prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë (CMAM, pour Community-based Management of Acute Malnutrition).
Simplifier le travail des équipes soignantes
Déjà, en 1993, la mise au point par Nutriset des laits thérapeutiques F-100 et F-75 en poudre prêts à diluer avait constitué une nette amélioration, simplifiant le travail des équipes médicales.
Jusque là, ces dernières devaient cuisiner elles-mêmes leur lait de renutrition à partir de poudre de lait écrémé, de sucre, d’huile végétale, de complexe de minéraux et de vitamines et d’eau potable.
L’utilisation du F-100 et du F-75 réduisait les risques liés à un éventuel mauvais dosage des ingrédients. Elle facilitait aussi la mise en place d’un nouveau protocole améliorant la prise en charge des patients et leurs chances de guérison, provoquant une diminution des taux de mortalité enregistrés dans les programmes nutritionnels.
S'affranchir des contraintes
Ni le F-100 ni le F-75 ne permettent de contourner les deux principales contraintes de la prise en charge de la malnutrition aiguë sévère : le besoin d’eau potable, et la durée de conservation très réduite des laits thérapeutiques une fois reconstitués.
A cause de ces deux difficultés, tous les enfants sévèrement malnutris devaient être hospitalisés plusieurs semaines d’affilée, avec une surveillance médicale 24 heures sur 24.
Or dans les pays touchés par la malnutrition, le manque d’infrastructures (hôpitaux, centres de santé avec lits d’hospitalisation) et de ressources humaines qualifiées limitait drastiquement le nombre d’enfants pris en charge. Sans parler du coût d’une hospitalisation longue, prohibitif pour des Ministères de la Santé démunis.
L’obligation pour un accompagnant – le plus souvent la mère – de rester auprès de l’enfant tout au long de son hospitalisation constituait un autre obstacle majeur. Bien souvent, les mères ne peuvent se permettre de rester aussi longtemps loin de chez elles, où les attendent le reste de leurs enfants, des travaux des champs ou d’autres activités vitales pour la vie économique et sociale du foyer.
Par conséquent, dès que leurs enfants malnutris hospitalisés commençaient à se rétablir, la plupart des mères les ramenaient à la maison sans attendre la fin du traitement, avec dès lors un risque accru de rechute et de mortalité.
C’est pour composer avec ces réalités – celles des familles et des organisations qui luttent contre la malnutrition – qu’est né le produit Plumpy’Nut®.
Pour chercher une alternative aux laits thérapeutiques, Nutriset s’associe à André Briend, médecin nutritionniste alors en poste à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Avec Michel Lescanne, fondateur de Nutriset, ils testent plusieurs produits – crêpes, beignets, biscuits – mais ces essais ne sont pas concluants. Jusqu’à ce qu’en 1996 émerge l’idée d’une pâte nutritive prête à consommer à base d’arachide. Quelques semaines plus tard, dans le laboratoire de Nutriset, l’idée est devenue un produit réalisable à l’échelle industrielle : Plumpy’Nut®.
Plumpy'Nut®, une produit nutritionnel révolutionnaire
Pâte d’arachide enrichie en lait, en matières grasses végétales, en sucre, en vitamines et micronutriments (voir la fiche technique pour la liste complète des ingrédients), Plumpy’Nut® a une valeur nutritionnelle équivalente à celle du lait F-100, mais ne nécessite aucune préparation (ni dilution, ni cuisson).
En 1997 au Tchad, un premier test mené sur un petit nombre d’enfants par Action Contre la Faim, en collaboration avec le Ministère tchadien de la Santé, montre une bonne acceptabilité du produit. En 1998, Médecins Sans Frontières (MSF) l’utilise lors d’une famine au Sud-Soudan, là encore avec de bons résultats.
En 2000, l’ONG Concern Worldwide expérimente en Ethiopie la prise en charge sans hospitalisation des cas de malnutrition aiguë sévère à l’aide de Plumpy’Nut®. Tiré de cette expérience, le plaidoyer du médecin nutritionniste Steve Collins, publié en août 2001 dans la prestigieuse revue scientifique The Lancet, pose les bases du modèle de prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë sévère, ou CMAM (Community-based management of severe acute malnutrition).
Soigner la malnutrition à domicile
Après avoir testé cette approche au Malawi, pays où les conditions de sécurité facilitent le suivi des enfants à domicile, Valid International et Concern Worldwide organisent en octobre 2003 un symposium à Dublin pour partager les résultats impressionnants de leurs recherches sur les centres de traitement communautaires (CTC) avec les acteurs majeurs de la nutrition humanitaire.
En 2006, sur la base des résultats obtenus au Malawi, Valid International et Concern Worldwide diffusent le premier manuel pratique consacré à la mise en place de CTC, Community-based Therapeutic Care.En 2007, une déclaration conjointe de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), du Programme Alimentaire Mondial (PAM), de l’UNICEF et du Comité Permanent de la Nutrition des Nations Unies (UNSC) promeut le modèle CMAM et l’utilisation des RUTFs.
Les bases de l'approche CMAM
Le modèle CMAM part d’un constat simple : lors des pics de malnutrition saisonniers (comme dans les pays du Sahel ou en Ethiopie) ou exceptionnels (liés par exemple à une guerre ou une catastrophe naturelle), hospitaliser les dizaines de milliers d’enfants touchés est tout simplement intenable.
Le modèle CMAM s’appuie sur les propriétés des RUTF comme Plumpy’Nut® pour s’affranchir de cette obligation : prêt à consommer à même le pot ou le sachet dans lequel il est conditionné, se conservant jusqu’à 24 mois après la date de fabrication et, une fois ouvert, jusqu’à 24 heures.
Parce qu’ils rendent possible la prise en charge de la malnutrition à domicile, les RUTFs tels que Plumpy’Nut® ont contribué à décupler le nombre d’enfants soignés, tout en désengorgeant les hôpitaux pour leur permettre de se concentrer sur les cas les plus graves.
Dépistage communautaire et traitement ambulatoire
Parallèlement, le dépistage peut être décentralisé au niveau communautaire, augmentant nettement l’accès des familles au traitement et le taux de couverture de la prise en charge de la malnutrition. La mesure du périmètre du bras des enfants à l’aide d’un bracelet gradué et coloré – le MUAC, pour Middle Upper-Arm Circumference – et l’observation de quelques signes physiologiques et cliniques simples (présence d’œdèmes, extrême maigreur, perte d’appétit…) permettent de poser un premier diagnostic.
S’ils ne présentent pas de complications médicales et ont de l'appétit, les enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère retournent chez eux avec la quantité de RUTF pour une semaine de traitement (2 à 3 sachets de Plumpy’Nut® par jour, en fonction du poids de l’enfant). Leurs mères se chargent de leur administrer chaque jour, et les ramènent pour une visite hebdomadaire au centre de santé afin de contrôler la prise de poids, vérifier que leur enfant n’est pas tombé malade, et se réapprovisionner en RUTF. Ce suivi se prolonge 6 à 10 semaines, jusqu’à ce que l’enfant ait atteint un poids cible, défini par rapport à sa taille, et soit sorti de la malnutrition aiguë.
Seuls les cas de malnutrition aiguë sévère aggravés par une complication (infection respiratoire, diarrhée, anorexie…) sont référés à l’hôpital pour une prise en charge médicale et nutritionnelle. Une fois leur maladie soignée et leur prise de poids amorcée, les enfants peuvent terminer le traitement à la maison, avec un suivi hebdomadaire en ambulatoire.
Une efficacité à grande échelle démontrée
La crise nutritionnelle au Niger en 2005, lors de laquelle Médecins Sans Frontières (MSF) a pris en charge plus de 60 000 enfants avec un taux de guérison de plus de 90 % en l’espace de quelques mois grâce à Plumpy’Nut®, a achevé de faire la preuve de l’efficacité des RUTFs à grande échelle. Ceux-ci sont aujourd’hui plébiscités par les principaux acteurs de la lutte contre la malnutrition, massivement utilisés par des agences des Nations unies comme l’UNICEF et le PAM. Plusieurs ONG engagées dans la mise en place du modèle CMAM (MSF, ACF, Save the Children, etc.) et des organisations comme GAIN ou la fondation Bill & Melinda Gates ont lancé des campagnes pour appeler à la mobilisation contre la malnutrition.
Malgré une hausse du nombre d’enfants pris en charge, les progrès demeurent insuffisants : sur les 26 millions d’enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère, seuls 10 à 15 % bénéficient d’une prise en charge adéquate.
Accentuer la mobilisation contre la malnutrition
De nombreux obstacles freinent encore l’expansion du modèle. Alors que la Banque mondiale estime à 11,8 milliards de dollars le budget nécessaire, les financements alloués à la nutrition se chiffraient à 350 millions de dollars par an seulement sur la période 2004-2007. Dans certains pays, les protocoles nationaux de prise en charge tardent à intégrer le modèle CMAM. Et la volonté politique de reconnaître le phénomène de la malnutrition et de s’y attaquer fait parfois défaut.
En 2000, les Nations Unies se fixaient huit Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) avec notamment pour objectif d’ici 2015 de réduire de moitié la proportion de la population souffrant de la faim dans le monde et de deux tiers le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans.
Alors que l’échéance se rapproche, le bilan d’étape est globalement décevant. Beaucoup restent à faire pour diminuer le nombre d’enfants malnutris sévères : augmenter la prise en charge via des traitements à base de RUTF et la conjuguer avec une prise en charge de la malnutrition aiguë modérée. En matière de prévention, les stratégies d’intervention doivent être menées, notamment en améliorant le statut nutritionnel des femmes enceintes dès le début de la grossesse. Plus que jamais, la mobilisation contre la sous-nutrition doit s’accentuer.
Début 2010, Nutriset et le réseau PlumpyField® (producteurs de Plumpy’Nut® et de RUSF dans les pays en développement) ont officiellement apporté leur soutien au Plan d’action mondial contre la malnutrition (Scaling-up Nutrition : a Global Framework for Action) – fruit d’une collaboration entre agences des Nations Unies, pays en développement, organisations humanitaires et bailleurs de fonds.
Dans son plaidoyer pour le modèle CMAM paru dans The Lancet en 2001, le docteur Steve Collins voyait dans la prise en charge communautaire de la malnutrition le moyen de « créer un continuum entre l’urgence et le développement ». Par la recherche de nouveaux produits permettant de s’attaquer à la malnutrition plus en amont, mais aussi par l’expansion des capacités de production directement dans les pays touchés par la malnutrition afin d’avoir un impact sur le développement économique, Nutriset et PlumpyField® contribuent à faire de l’autonomie nutritionnelle une réalité.